Les Origines de la Guerre de Troie: Le jugement de Pâris.

Yourcenar

Introduction

Les origines de la guerre de Troie ne figurent pas dans l’Iliade. Homère n’y raconte que les quelques jours à la fin de la guerre, où se déroulèrent les évènements tragiques liés à la colère d’Achille, lorsqu’Agamemnon lui vola Briséis, la belle esclave qui faisait partie de son butin. On en trouve le récit dans le poème épique des Κυπρίαϛ (Kyprias) ou Chants Cypriens attribués à Stasinos de Chypre au VIIè siècle av. JC.

A l’origine se trouve un problème toujours très actuel, la surpopulation. La grande Gaïa, la Mère du monde, se plaint à son petit fils Zeus d’être écrasée par le trop grand nombre des humains qui se pressent sur son sol, tout comme notre Terre aujourd’hui. Ce n’est pas la première fois que Gaïa se plaint ainsi, car dès l’origine du monde elle avait été asphyxiée par le nombre de ses enfants qu’Ouranos, son fils-époux, après les avoir engendrés, maintenait enfoncés dans son ventre de peur qu’après leur naissance ils ne le renversent, peur éternelle que l’on retrouve chez de nombreux pères divins, sauf le nôtre.

Il fallait donc réduire drastiquement le nombre des humains.

Pour y parvenir Zeus pense à la guerre. Il suscite celle des Sept contre Thèbes[1] mais les morts n’y sont pas en nombre suffisant. Il imagine alors une longue guerre de dix ans dont les morts et les destructions seraient terribles. Il suscite pour cela deux unions, le mariage de Pélée avec la nymphe Thétis qui donnera le jour à Achille, et s’unit lui même, sous la forme d’un cygne, à Léda, qui sera la mère d’Hélène, mettant ainsi en scène deux des dramatis personae de la célèbre guerre de Troie.

Mais qui seraient les combattants?

D’abord ceux que nous appelons les Grecs. Le mot de «  grec » n’est jamais prononcé dans l’Iliade car la Grèce en tant que telle n’existait pas encore. L’expédition punitive venue d’Argos à Troie pour récupérer la belle Hélène enlevée par Pâris était composée de Mycéniens. La grande civilisation Mycénienne avait régné sur la Grèce depuis la fin de l’Age de Bronze jusqu’à 1200 av. JC, date à laquelle elle fut détruite par des envahisseurs dits « Peuples de la mer. » Agamemnon, le chef de l’expédition, était roi de Mycènes et son frère Ménélas, le mari trompé, roi de Sparte. Dans l’Iliade, les « grecs » sont désignés par le nom d’ AchéensDanaens, ou Argiens.

Les Troyens, quant’à eux, désignés par leur nom, étaient des Asiatiques. Troie était située – et ses ruines le sont toujours – sur un promontoire de la côte nord-ouest de la Turquie surplombant le détroit des Dardanelles, l’Hellespont des Grecs, alors dans l’empire Hittite. Troie était une grande ville riche et florissante. Son roi était Priam. Pour les besoins du récit, bien que « barbares », les Troyens parlent la même langue que les Grecs et adorent les mêmes dieux.

Pâris

L’histoire commence donc le jour du mariage de la divine Thétis avec un mortel, Pélée, roi de Phthie. Thétis est une déesse d’ascendance marine. Par son père d’abord, Nérée, dit le « Vieux de la Mer », qui rend la justice et ne dit jamais que la Vérité. Par sa mère, Thétis descend d’Okéanos, l’océan primordial dont Homère avait fait le père des dieux. Marine et ondoyante, Thétis est, « comme l’eau, toute fluidité », écrit JP Vernant. Elle possède un don inépuisable de métamorphose et peut prendre toutes les formes. Elle est d’une grande beauté et deux dieux, non des moindres, en sont amoureux, Zeus et son frère Poséidon. Tous deux veulent l’épouser, mais un terrible secret pèse sur cette éventuelle union, un secret dont seul Prométhée, le Titan rebelle enchaîné à son rocher pour avoir donné le feu divin aux hommes, a connaissance. Si un dieu épousait Thétis, le fils qui naîtrait de cette union commettrait contre son père un crime de la même nature que celui que commirent les premiers dieux contre le leur, la terrible guerre entre les générations divines à laquelle Zeus venait de mettre un terme, se poursuivrait toujours et l’ordre du Cosmos en serait définitivement compromis.

Prométhée gardait précieusement son secret comme monnaie d’échange pour sa délivrance. Il le révèle à Zeus. Il renonce à épouser Thétis, et Hercule libère Prométhée de ses chaînes et de ses souffrances, qui avaient duré, dit-on, trente ans. Thétis épousera donc un mortel. Ce sera Pélée.

Mais Thétis ne veut pas de ce mariage. Epouser un mortel est pour cette déesse une insupportable mésalliance. Elle ne s’y fera jamais. Elle quittera Pélée douze jours après avoir mis au monde Achille.

Lorsque Pélée veut l’attirer à lui, elle se transforme, ondoyante, en toutes les figures possibles et échappe constamment à cette étreinte dont elle ne veut pas. Mais Pélée est prévenu. On lui a dit qu’avec ces créatures à métamorphoses, la seule chose à faire est de les saisir en une prise étroite en les encerclant des deux bras, les mains fermement soudées, sans les lâcher jusqu’à ce que leur répertoire, qui n’est pas illimité, s’épuise. Ce qui arriva.

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Pélée se saisit de Thétis – Vase grec

Le mariage de Thétis et Pélée se célébra sur le mont Pélion, où les dieux aimaient se rendre en été. Ce fut une grande fête, tous les dieux furent conviés et tous apportèrent des cadeaux. Les Muses, filles de Zeus et de Mnémosyne, chantèrent l’épithalame. Pélée reçut une armure forgée par Héphaïstos, le dieu forgeron, et Zeus lui offrit deux chevaux merveilleux, Balios et Xanthos, qui volent avec le vent, parlent, et sont immortels. Lorsque Patrocle affrontera Hector dans son ultime combat, Achille lui prêtera ces deux chevaux qu’il avait hérités de son père. Et lorsqu’il succombe sous les coups d’Hector, les deux chevaux, dans une scène bouleversante, le pleurent. « Des larmes brûlantes coulent de leurs yeux à terre, tandis qu’ils se lamentent dans le regret de leur cocher, et elles vont souillant l’abondante crinière qui vient d’échapper au collier et retombe le long du joug, des deux côtés »[3].

Cependant les dieux chantent, dansent, et se repaissent du merveilleux banquet de mariage dans une joyeuse ambiance lorsqu’apparaît soudain un personnage qu’on n’attendait pas. C’est Eris, la discorde, la jalousie, la haine, Eris, fille de Nuit, elle même fille de Chaos qui engendra tous les éléments maléfiques du monde. Eris n’était pas invitée, mais elle s’avance néanmoins, et jette au milieu de l’amoncellement des cadeaux une magnifique pomme d’or, gage d’amour. Sur cette pomme est gravée une phrase : « A la plus belle ».

Et c’est ici que tout commence, comme au paradis terrestre, avec une pomme.

Sont présentes à la noce trois grandes déesses : Athéna, déesse de l’intelligence, la fille de Zeus qui avait avalé sa mère et dont il accoucha lui même par la tête; Héra, son épouse principale et déesse du foyer, et Aphrodite, qu’on ne présente plus. Chacune estime que c’est elle la plus belle, et que c’est à elle que doit revenir la pomme. Laquelle choisir ? Et qui doit faire ce choix ? On pense bien sûr au roi des dieux, à Zeus. Mais Zeus ne veut pas, car il mécontenterait nécessairement deux des déesses. Alors comme souvent, comme chaque fois qu’un problème embarrasse les dieux, ils  se défaussent sur les hommes. « Là encore les dieux vont faire glisser vers les hommes la responsabilité de décisions qu’ils se refusent à assumer, comme ils leur ont destiné des malheurs ou des destins funestes dont ils ne voulaient pas pour eux-mêmes » (JP Vernant). C’est donc un homme qui fera ce choix.

Mais lequel ?

Sur ordre de Zeus, Hermès emmène les trois déesses sur le mont Ida pour faire leur marché. Sur les pentes arides et dures de ce mont, où paissent de nombreux troupeaux gardés par leurs bergers, les jeunes hommes viennent faire l’apprentissage des vertus de courage et d’endurance qui leur permettront d’atteindre l’idéal du héros.  Parmi tous ces jeunes gens, se trouve Pâris, le plus jeune fils du roi de la riche et brillante cité de Troie, Priam, prince berger qui garde les troupeaux du roi son père. Il est très beau. C’est sur lui que la main du destin arrêtera le choix des Dames.

Pâris a une histoire.

A l’image d’Œdipe, il s’inscrit dans cette lignée de fils maudits dont le destin a voulu qu’ils soient néfastes à leurs pères. Toujours la même obsession. De même que l’oracle de Delphes avait prescrit à Laïos, roi de Thèbes et père d’Œdipe, de ne pas avoir d’enfant car s’il avait un fils, celui-ci le tuerait et épouserait sa mère, Hécube, l’épouse de Priam, alors qu’elle était enceinte de Pâris, rêva la veille de son accouchement qu’elle mettait au monde non un enfant mais une torche allumée qui mettrait en cendres la ville de Troie. Le devin, consulté, confirma qu’en effet cet enfant serait la cause de la destruction de Troie par les flammes.

Il fallait donc s’en débarrasser.

Et comme Œdipe, Pâris fut abandonné sur les flancs déserts de la montagne. « Exposer » ainsi dans la nature les nouveau-nés dont on ne voulait pas revenait à les tuer sans avoir à le faire soi-même. Mais c’était aussi encourir le risque que l’enfant soit recueilli et élevé par d’autres, ce qui ne manqua pas de se produire pour Pâris comme pour Oedipe. Il fut recueilli par des bergers. Ils l’appelèrent Alexandre, et l’élevèrent.

Plusieurs années plus tard, Priam et Hécube, pensant à cet enfant qu’ils avaient abandonné à la mort, souhaitent offrir un sacrifice à sa mémoire ; ils envoient pour cela chercher le plus beau taureau. C’est justement celui que garde Alexandre, qui va accompagner la bête dans l’espoir de la sauver. Arrivé sur les lieux, il participe à tous les jeux et concours qui accompagnent toujours les sacrifices et les remporte tous. Un des fils de Priam, Déiphobe, s’irrite de ce bel inconnu qui remporte tous les prix et décide de le tuer. Pâris se réfugie dans un temple où Déiphobe le poursuit. S’y trouve aussi Cassandre, leur sœur, une belle jeune fille dont Apollon avait été amoureux et lui avait accordé, pour la séduire, un don de divination. Mais elle n’avait pas voulu de lui et pour se venger, le dieu avait statué que personne ne l’écouterait jamais. A la vue d’Alexandre, Cassandre s’écrie : « Attention, cet inconnu est notre petit Pâris ! » Et l’histoire veut qu’à ce moment Pâris exhibe les langes qu’il portait quand il fut exposé, (et que, bien sûr, il avait avec lui, comme tout le monde …) Hécube les reconnaît, les parents sont fous de bonheur et le voilà réintégré dans sa dignité de prince royal, tout à fait en mesure de mériter l’attention de trois belles déesses.

Retour sur le mont Ida. Pâris s’effraye du cortège divin qui s’approche de lui. Que lui veut-on ? Il n’est jamais bon pour un mortel de voir les dieux de près, on ne sait jamais ce qui peut arriver : le devin Tirésias devint aveugle à la vue d’Athéna (il est vrai qu’elle était nue), et Sémélé, enceinte de Dionysos, prit feu lorsque Zeus se montra à elle dans toute sa splendeur divine[4]. Hermès explique à Pâris ce qu’on attend de lui ce qui ne le rassure guère. Les divinités se succèdent auprès de lui pour le tenter, lui faisant chacune les promesses les plus alléchantes. Athéna, déesse de l’intelligence et de la stratégie militaire, lui promet, s’il la choisit, la victoire dans tous ses combats et une sagesse que tout le monde lui enviera. Pas très excitant. Héra, la puissante épouse du roi des dieux, lui promet un grand pouvoir et de régner sur toute l’Asie. Pourquoi pas. Aphrodite, elle, fidèle à sa spécialité, lui promet d’être un séducteur irrésistible qu’aucune femme ne pourra refuser, notamment la belle Hélène, la fille de Zeus dont la réputation de beauté est universelle: « Tu seras le mari et l’amant de la belle Hélène ».

Et Pâris choisit Aphrodite.

Le jugement de Pâris sera lourd de conséquences, car la colère des deux déesses qui n’avaient pas été choisies sera terrible. Il sera à l’origine de la guerre et de la destruction de Troie, et de tous les drames qui en découleront sous la plume des grands tragiques Grecs.

Mais l’histoire ne dit pas si, la guerre terminée, la Grande Mère Gaïa se trouva soulagée du poids de tous les morts …

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Le choix de Pâris

 

[1] Guerre que se livrèrent les deux fils d’Œdipe, Etéocle et Polynice, pour régner sur la ville de Thèbes. Eschyle en fit une tragédie.

[2] Ce chapitre s’inspire largement de JP Vernant. La guerre de Troie dans L’Univers, les Dieux, les Hommes. Editions du Seuil. 1999

[3] Homère. Iliade, XVII 434-440. Classiques en poche. Edition bilingue. Les Belles Lettres. 1998

[4] Zeus arracha le foetus de l’utérus de sa mère en feu et l’enferma dans sa cuisse, où il acheva sa maturation. C’est ainsi que Dionysos naquit « de la cuisse de Jupiter ».

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