Le Paradoxe Féminin

 

 

Rémy de Gourmont, dans ses belles Promenades littéraires, consacre un chapitre à « La femme naturelle ». Il y critique avec vigueur un texte de Choderlos de Laclos sur l’éducation des femmes dont il attribue la teneur aux idées de Rousseau sur l’ « état de nature », qu’il juge délirantes. Il écrit : « La femme naturelle est admirablement faite pour remplir toutes les fonctions de la maternité. Mais est-elle capable d’amour, au sens délicat que nous donnons à ce mot ? … La femme naturelle ignore nécessairement la passion ; elle ignore même le choix. Enfin, c’est un pur animal (sic). On ne sait pas si elle parle. A quoi bon d’ailleurs et que dirait-elle ? » Il ajoute : « La femme naturelle ! Pourquoi aller la chercher si loin ? La femme est toujours naturelle, ici ou là, à Paris ou en Guinée ».

On a tout même du mal à imaginer Oriane de Guermantes sous les traits de la « femme naturelle ».

Mais, par une belle journée d‘octobre, Virginia Woolf traversait une pelouse dans une grande université anglaise, disons Oxbridge, quand soudain une silhouette masculine surgit en gesticulant, lui intimant l’ordre de quitter immédiatement cette pelouse qui était réservée aux membres de l’université (des hommes bien sûr, les femmes n’y étant pas admises à l’époque). Irritée, elle obtempéra. Une question lui vint alors à l’esprit: comment expliquer le paradoxe qui existe entre le statut social de la femme dans les sociétés patriarcales et les personnages féminins immortels qui remplissent la littérature classique, écrite par des hommes. Et elle cite le passage suivant d’un livre de F. Taylor qui vaut d’être reproduit en entier:

Virginia_Woolf_1927
Virginia Woolf

«  It remains a strange and almost inexplicable fact that in Athena’s city, where women were kept in almost Oriental suppression as odalisques or drudges, the stage should yet have produced figures like Clytemnestra and Cassandra, Atossa and Antigone, Phèdre and Medea, and all the other heroines who dominate play after play of the ‘misogynist’ Euripides. But the paradox of this world where in real life a respectable woman could hardly show her face alone in the street, and yet on the stage equals or surpasses man, has never been satisfactorily explained. In modern tragedy the same predominance exists. At all events, a very cursory survey of Shakespeare’s work (…) suffices to reveal how this dominance, this initiative of women, persists from Rosalind to Lady Macbeth. So too in Racine; six of his tragedies bear their heroine’s names; and what male characters of his shall we set against Hermione and Andromaque, Phèdre and Athalie ?”.

Virginia Woolf poursuit : « Indeed, if a woman had no existence save in the fiction written by men, one would imagine her a person of utmost importance; very various; heroic and mean; splendid and sordid; infinitely beautiful and hideous in the extreme; as great as a man, some think even greater. But this is woman in fiction. In fact … she was locked up, beaten and flung about the room. A very queer, composite being thus emerges. Imaginatively she is of the highest importance; practically, she is completely insignificant. She pervades poetry from cover to cover. … She dominates the lives of kings and conquerors in fiction; in fact she was the slave of any boy whose parents forced a ring upon her finger. Some of the most inspired words, some of the most profound thoughts in literature fall from her lips; in real life she could hardly read, could scarcely spell, and was the property of her husband”.

En outre, on ne peut s’empêcher d’évoquer, à propos de ce paradoxe, le fait que dans nos traditions, la Femme,  que ce soit Eve, ou Pandore imaginée par Zeus comme une punition, a toujours été la source du malheur de l’humanité.

Mais peut-être ces grands auteurs portaient-ils dans leur inconscient, en imaginant ces femmes immortelles, le souvenir oublié de leur mère, “cet autre préhistorique et inoubliable qu’aucune personne venant ultérieurement n’arrivera plus à égaler » (S.Freud).

 

 

Bibliographie

 

Rémy de Gourmont. Promenades littéraires. Tome 1. Mercure de France

Viginia Woolf. A room of one’s own. The Hogarth Press.

FL Lucas Tragedy cité par V. Woolf op. cit.

Freud Lettres à Fliess cité par JY Tadié dans Le lac inconnu Gallimard

 

 

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