« Zeus qui gronde dans les nues, pour le grand malheur des hommes mortels, a créé les femmes que partout suivent œuvres d’angoisse, et leur a, en place d’un bien, fourni tout au contraire un mal. »
Hésiode. Théogonie.
Dernier acte du mythe de Prométhée, pour punir les hommes de disposer du feu dont la Destinée voulait qu’il soit seul détenteur, Zeus ne put imaginer pire châtiment que d’inventer la Femme.
« Fils de Japet, s’écria-t-il, s’adressant à Prométhée qui avait volé le feu pour le donner aux hommes, ô le plus habile de tous les mortels ! Tu te réjouis d’avoir dérobé le feu divin et trompé ma sagesse, mais ton vol te sera fatal à toi et aux hommes à venir. Pour me venger de ce larcin, je leur enverrai un funeste présent dont ils seront tous charmés jusqu’au fond de leur âme, chérissant leur propre perte. » Et sur ses instructions Héphaïstos le dieu boiteux, l’orfèvre divin, forma avec de la terre une figure merveilleuse semblable à une chaste vierge, modelée à l’image des déesses puisqu’il n’y avait pas encore d’autre femme. Athéna la revêtit d’une blanche tunique et posa sur sa tête un voile admirable ; puis elle orna son front de gracieuses guirlandes tressées de fleurs nouvelles et d’une couronne d’or qu’Héphaïstos avait fabriquée de ses propres mains. Sur cette couronne il avait ciselé les nombreux animaux que la terre et la mer nourrissent dans leur sein ; le tout brillait d’une grâce merveilleuse, et ces diverses figures paraissaient vivantes. Chaque dieu lui fit présent de son propre talent, et on l’appela Pandore, nom d’une divinité de la terre et de la fécondité qui signifie « tous les dons » . Ainsi présentée au panthéon olympien, cette première jeune fille de l’histoire était si belle que l’on ne pouvait la contempler sans être envoûté par sa beauté, son charme, son charisme. On pense à Marilyn Monroe quand elle fut présentée par son agent aux grands producteurs de Hollywood : « a sculpted doll, yet she’s moving. She’s animated and smiling and clearly very very happy to be among such exalted company » (Joyce Carol Oates).
Mais contrairement à la plus belle actrice du monde, le caractère qui se cachait derrière cette poupée-ci était tout autre. Car si elle reçut le don de la parole pour lui permettre de converser avec l’homme qui serait son compagnon, Hermès lui en enseigna aussi l’usage de proférer le mensonge, la tromperie, la perfidie et la cupidité, tous enfants de Nuit, la fille de Chaos, laquelle, avec tous les principes malfaisants du monde, avait aussi engendré le mensonge et la tromperie, sans doute liés au principe féminin dans l’esprit des Anciens car de semblables qualificatifs avaient aussi accompagné Aphrodite lors de sa naissance dans l’écume des eaux. Pour les Anciens, toute femme était fille de Nuit.
Une fois créé ce mal si beau, Zeus l’amena où se trouvaient les dieux et les hommes. Tous s’émerveillèrent à la vue de ce piège fatal.

Zeus, non sans arrière pensées, offrit Pandore pour épouse à Epiméthée, le frère de Prométhée. Bien que ce dernier ait prévenu son frère de ne jamais accepter de Zeus un quelconque présent, car son intention ne pouvait être que de leur nuire, Epiméthée, sans réfléchir comme l’indique son nom, ébloui par la beauté de la jeune fille, l’accepta. Elle lui fut livrée avec une grande boîte ( en réalité une jarre) fermée, qu’elle avait pour instruction divine de ne jamais ouvrir. Certains disent qu’au contraire, Zeus lui avait ordonné de l’ouvrir, parce qu’il désirait ce qui en advint, et que c’est pour cela même qu’il l’avait faite fabriquer.
Donc un jour où Pandore tenait entre ses mains sa grande boîte, ne pouvant résister à la curiosité, défaut féminin qui faisait avec elle son entrée dans le monde, elle l’ouvrit, et les maux terribles que la boîte renfermait en jaillirent dans un épais nuage qui se répandit sur le monde. Effrayée, Pandore referma précipitamment le couvercle, mais trop tard. Ne resta que l’espérance. Et depuis ce jour, mille calamités s’abattent sur les hommes de toutes parts : la terre est remplie de maux, de violence et de haine, les maladies se plaisent à tourmenter les mortels jour et nuit, les hommes vieillissent et connaissent la mort, mais ils gardent l’espoir.

Toutefois, l’espoir était-il vraiment un si beau cadeau ? Luc Ferry nous rappelle que dans la culture grecque, l’espérance est un malheur car elle est toujours associée à un manque, à l’attente de quelque chose que l’on n’a pas: l’amour, la santé, l’argent, etc. C’est une tension qui, à l’image de la nostalgie qui nous ramène sans cesse vers un passé perdu, nous projette vers un avenir mythique que nous n’atteindrons sans doute jamais, et nous empêche de vivre dans « la seule dimension réelle du temps », le présent, ici et maintenant, hic et nunc.
La vie des hommes après que la curiosité de Pandore eut été satisfaite fut celle qu’Hésiode a décrite dans Les Travaux et les Jours à propos de l’âge de Fer, celle d’Adam après la Chute, la nôtre. Dur labeur pour se nourrir, maladies, angoisse de l’avenir, difficultés, malheur, vieillesse, mort. Et pour se reproduire, « c’est l’homme qui désormais dépose sa vie au sein de la femme » et « c’est l’agriculteur, peinant sur la terre, qui fait germer en elle les céréales » (Vernant). L’homme sera donc obligé de prendre femme pour se reproduire, attirant ainsi sur sa tête non seulement tous les malheurs qu’elle apporte avec elle mais l’épuisement du labeur que lui impose l’avidité insatiable de sa femme, « engrangeant dans son ventre » tous les fruits de ses peines.
Ce fut donc de Pandore, « de celle là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes, terrible fléau installé au milieu des hommes mortels » se lamenta Hésiode, qui serait très mal vu ajourd’hui …
Ainsi va la conclusion du mythe de Prométhée. Nul ne peut échapper à la volonté de Zeus.
Pour en savoir plus:
Hésiode. Les Travaux et les Jours. Ed. bilingue. Trad. Paul Mazon. Les Belles Lettres.
JP Vernant. Les semblances de Pandora in Entre Mythe et Politique . Oeuvres. Vol.1. Opus. Seuil
Ibid. Le mythe hésiodique des races. Essai d’analyse structurale. in Mythe et pensée chez les Grecs. Oeuvres. op.cit.
Joyce Carol Oates. Blonde. Fourth Estate. London. 2000
L. Ferry. Mythologie et Philosophie. Vol.1. J’ai lu. Editions Plon 2016